Une voiture à l'assaut du château !
Insolite : il y a 100 ans à peine, on pouvait encore accéder au château en voiture : en témoigne cette fringante Ford Model A Cabriolet de 1929 garée au pied des remparts !
Cette scène a eu lieu durant l’été 1931 : c’est ce qu’on apprend dans un article paru le 17 décembre 1932 dans le quotidien régional l’Éclair* qui ne relate pas cet exploit mais un autre, plus impressionnant encore, réalisé par le même conducteur, M. Wérahègues, directeur de la compagnie des taxis Ford : l’ascension du Pic Saint-Loup en voiture ! Rien que ça…
L'article précise que, l'été précédent, ce dernier avait déjà garé son bolide devant la façade de la maison de chevalier du Petit Montferrand, une des plus anciennes parties du château, datée entre 1070 et 1130, et qui n'a presque pas changé. Reste à savoir quel exploit est le plus remarquable : celui de "l'intrépide automobiliste" au volant de son bolide de 40 CV ou celui des charitables habitants de Cazevieille invités à hisser à la force de leurs bras l'engin de plus d'1 tonne jusqu'au sommet ! Un joli coup de pub en tout cas pour la compagnie de taxis : on en parle encore 100 ans plus tard...
Retranscription de l’article de L’Éclair, 17 décembre 1932 :
A L’ASSAUT DU PIC SAINT-LOUP
L’ascension en automobile
Montpellier, le 16 décembre
Pour la première fois, un automobiliste vient de gravir le Pic Saint-Loup. Cet exploit peu ordinaire a été accompli par M. Wérahègues, le sympathique directeur de la Compagnie des taxis Ford, dans les circonstances suivantes :
Parti de Montpellier à 9 heures, M. Wérahègues arrive à Cazevieille, au pied du Pic Saint-Loup, à 9 h 30. Aussitôt, il conduisit sa petite voiture Ford au bas du chemin qui mène au Pic, et après une pose devant l’objectif, affronta la montée. Jusqu’à mi-chemin, tout alla à peu près bien, malgré les gros cailloux et les dangereux virages de la route ; mais arrivé à 300 m d’altitude, voilà que la route est barrée par un dépôt de charbon de bois. Le charbonnier, qui demeure là avec sa femme, se met en devoir de retirer les sacs de charbon qui encombrent le passage, et manifeste son étonnement de voir une automobile en pareil lieu.
Les difficultés commencent
Le passage étant libre, l’automobile continue son ascension et arrive à une centaine de mètres de la croisette, mais les difficultés redoublent et il faut l’aide de plusieurs personnes pour pousser la voiture qui n’avance que par bonds de deux mètres. Par suite de la pluie, le terrain se dérobe sous le poids de la Ford, et il faut la présence d’esprit et le sang-froid de M. Wérahègues pour éviter la chute de l’automobile dans le ravin.
Aidé par les habitants de Cazevieille, l’automobiliste attache autour des pneus des grosses cordes afin d’éviter le dérapage, mais les cordes cassent et les cailloux qui recouvrent le sol sont projetés de tous côtés. On change alors de tactique, et après avoir coupé des branchages, on les place sur le chemin. Malgré tout, l’auto ne peut avancer, et comme il est une heure de l’après-midi, on remet à après déjeuner la continuation de l’ascension.
Après un court repas pris à l’Hôtel de Saint-Martin-de-Londres, M. Wérahègues revient à Cazevieille où M. Olivier, maire de la commune, se met à son entière disposition. Deux planches et des cordes sont transportées sur les lieux et l’expérience continue. Grâce aux planches qui sont placées sous les roues, l’automobiliste peut avancer, malheureusement le bois casse et, gêné par le brouillard et la pluie, le conducteur commence à redouter l’échec.
L’arrivée
Une dernière tentative est alors faite. On attache de grosses cordes à l’avant de la voiture et les personnes qui assistent à l’ascension tirent de toutes leurs forces et entraînent la Ford hors du passage dangereux.
Le chemin étant praticable, l’automobile part aussitôt à toute allure et arrive à la Croisette, à 150 mètres de la grande croix du Pic.
Le but étant atteint, l’automobiliste redescend, les phares allumés, car il fait nuit et le brouillard ne permet pas la visibilité à plus de cinq mètres.
M. Olivier, maire de Cazevieille, offre le champagne à l’intrépide automobiliste qui, quelques instants après, regagne Montpellier, tout heureux de son succès.
Ajoutons que M. Wérahègues affronté, l’été dernier, l’ascension du château de Montferrand et a été le seul à pénétrer dans les ruines du château avec son automobile. – M. A.
Source : ''L'Éclair'' N° 20077-20136 - Nov. 1932/déc. 1932, archives départementales de l'Hérault, cote : 2 DOC 84 (vue 396/505)
* L’Eclair, journal quotidien du Midi (siège social : Montpellier), est paru de décembre 1881 à août 1944