Lorsqu’aucun plan ni aucune image avant la ruine n’existe,

la modélisation d’un château se fait à partir d’un ensemble de sources parfois très diverses. Les mêmes sources sont exploitées de manière différente selon l’objectif poursuivi : restituer l’édifice avant sa démolition ou proposer un modèle évolutif du bâti.

C’est cette démarche qu’a adoptée l’architecte Thomas Robardet-Caffin pour reconstituer l’évolution architecturale du château de Montferrand au fil des siècles. En l’absence de données sur la nature et la forme de plusieurs éléments du bâti, il a dû confronter les sources, parfois contradictoires, opérer des recoupements, combler les « vides » pour proposer une reconstitution cohérente et vraisemblable des espaces altérés ou totalement disparus, invisibles sur le terrain.

Les vestiges comme source de première main

Les vestiges constituent l’apport principal d’information. Leur étude permet de contextualiser les autres sources disponibles et de dimensionner les hypothèses de restitution. 

La collecte de données matérielles sur ce monument ruiné fait appel à des protocoles précis de l’étude du bâti : relevé architectural, relevé pierre à pierre, analyse stratigraphique. Une fois l’analyse sur le bâti réalisée, le travail se concentre sur les parties disparues de l’édifice. Les traces laissées par les éléments disparus tel que les volumes de remblai, les vestiges de boiseries… sont autant d’indices à exploiter.

A titre d'exemple, le plan stratigraphique de l'enceinte sud du Vieux Montferrand (voir croquis) réalisé par l'architecte Thomas Robardet-Caffin permet d'identifier :

  • l'enceinte de la fin du XIe s. (USC 7001) ;
  • le bâtiment du XIIIe s. (USC 1002) ;
  • les transformations du début du XVIIe s. (USC 6001) ;
  • en pointillés, les parties disparues reconstituées d'après des photographies et représentations anciennes. 
 
Plan stratigraphique de l'enceinte sud du Vieux Montferrand. Relevé et plan : Thomas Robardet-Caffin, 2019
Plan stratigraphique de l'enceinte sud du Vieux Montferrand. Relevé et plan : Thomas Robardet-Caffin, 2019

Le fonds documentaire

Le château de Montferrand dispose aussi d’un ensemble documentaire rare mais précieux. Les sources iconographiques et les écrits qui nous sont parvenus nous renseignent, à leur manière, sur l’état ou l’usage de l’édifice à un moment précis de son histoire.

Sources indirectes du Moyen Age

Le Moyen Age a laissé plusieurs traces écrites concernant le château, notamment au travers de lettres pontificales ou d’actes notariés.

Ces documents mentionnent la forteresse pour son usage ou comme symbole du pouvoir comtal, les informations relatives à son architecture y sont quasi inexistantes.

On peut compter aussi sur le cartulaire de Maguelone : ce recueil de chartes relatives à l’évêché regroupe près de 2 400 actes dont les plus anciens remontent au XIIe siècle. Plusieurs de ces actes font référence, même indirectement, à l’utilisation de certains espaces du château à une époque donnée.

Ecrits du XVIIe siécle

Au XVIIe siècle, trois documents importants sont une source d’information majeure, non seulement sur l’architecture globale du château mais aussi sur l’agencement de ses espaces intérieurs.

En 1604 et 1605, deux prix-faits (devis) sont réalisés dans le cadre du projet de modernisation du château. Ils nous renseignent sur l’état du château à cette époque et sur les travaux envisagés par l’évêque pour transformer le site en caserne.

Mais c’est surtout l’expertise de 1677 qui apporte une connaissance très précise de l’aménagement intérieur du château dans son état final, peu avant son démantèlement. Réalisé par deux architectes à la demande de l’évêque qui envisage de remettre la forteresse en état, l’inventaire détaille la forteresse pièce par pièce, au gré de la déambulation des visiteurs. Chaque pièce est inventoriée avec la plus grande précision : fonction, dimensions, nombre et orientation des ouvertures, éléments de décor éventuels, revêtements de sols, organisation structurelle des plafonds…

Sources iconographiques tardives

Enfin, de nombreuses représentations et photographies anciennes du château enrichissent la compréhension des vestiges.

L’œuvre du dessinateur Jean-Marie Amelin (1785-1858) est un apport majeur dans la connaissance du château au XIXe siècle. Ce professeur de dessin à l'Ecole royale du génie militaire de Montpellier a immortalisé avec acuité le patrimoine architectural et paysager de son époque dans une série de dessins, lavis et peintures. Outre leur qualité artistique, ses œuvres constituent un témoignage historique du patrimoine local. En 1830, il réalise six croquis d’une grande précision à la mine de plomb du château qui livrent de nombreuses informations sur des structures totalement effondrées aujourd’hui.

Les aquarelles de Jean-Joseph Bonaventure Laurens (1801-1890) réalisées dans tout le sud de la France nous renseignent sur les paysages de la région à cette époque. Une de ses lithographies est dédiée à Montferrand. 

Mais ces travaux sont parfois à manier avec vigilance, le dessinateur ayant pu oublier ou choisir d’occulter certains éléments. Des disproportions dues à la perspective peuvent aussi fausser l’évaluation des dimensions. Enfin, l’influence du mouvement romantique éloigne parfois l’auteur du réalisme, comme c’est le cas pour Laurens.

Plus "fidèle" à la réalité, la photographie, dès 1890, est une source d’information précieuse.

Le recoupement des sources

Si les vestiges constituent l’apport principal d’information, les gravures, peintures, croquis et photographies sont autant de représentations du bâtiment à des degrés divers d’effondrement. Toutefois, la fiabilité de ces sources dépend en grande partie des motivations, de la technique et de la sensibilité de leur auteur. 

Seule la confrontation de l’ensemble de ces données, parfois contradictoires, permet non seulement d’identifier les espaces mais aussi d’en dater les périodes de construction ou de disparition. 

Les informations sont décortiquées, analysées et croisées pour donner corps à cette réalité disparue. Un volume de déblais au sol peut confirmer la dimension d’un pan de mur représenté sur une esquisse du XIXe siècle mais aujourd’hui effondré…

Mais il faut toujours garder à l’esprit que la reconstitution n’est jamais qu’une "évocation" volumétrique qui, dans le détail, peut se révéler approximative. Sa fiabilité varie d’une partie à l’autre du monument en fonction des données disponibles.

Dans le détail

Reconstitution du crénelage

L’exemple ci-dessous montre la démarche de reconstitution réalisée par Thomas Robardet-Caffin de la façade sud du Vieux Montferrand, aujourd’hui en grande partie arasée à partir du deuxième niveau.

L’analyse du bâti existant, minoritaire, a été complétée grâce au croisement de plusieurs sources iconographiques.

Etape 1

Modélisation - étape 1
Modélisation - étape 1

L'entrée dans le « vieux Montferrand » se fait à la base du bâtiment 1 et débouche dans une haute-cour. Ce bâtiment est arasé à partir de son deuxième niveau. Les bâtiments mitoyens conservent leur façade sud à la hauteur d’origine.

Etape 2

Modélisation - étape 2
Modélisation - étape 2

Depuis la cour intérieure du château, on remarque au sommet du bâtiment 2 trois baies et une rangée de dalles qui permettent d’identifier avec certitude le sol du troisième niveau. Le bâtiment 3 conserve la trace de deux niveaux ainsi qu’une fenêtre et un merlon sommital.

D’après ces vestiges et les traces de liaisons entre les bâtiments, on peut estimer que le bâtiment avait une hauteur au moins égale aux deux tiers de celle du bâtiment 2. Mais on ne peut pas en déduire la hauteur réelle.

Etape 3

Modélisation - étape 3
Modélisation - étape 3

La photographie réalisée vers 1900 montre quelques pierres de la face ouest du bâtiment 1 encore accrochées au bâtiment 2. Ce dernier, alors en meilleur état, était accolé sur toute sa hauteur au bâtiment 1.

La hauteur du bâtiment 1 était donc au moins égale à celle des façades 2 et 3. Mais l’angle de vue ne permet pas d’identifier une éventuelle trace de toiture.

Etape 4

Modélisation - étape 4
Modélisation - étape 4

L’angle sud-ouest du bâtiment 1 est encore entièrement en place sur une lithographie de Jean-Joseph Bonaventure Laurens réalisée en 1840. Pourtant, le merlon au sommet semble excessivement haut par rapport aux façades mitoyennes. Parti-pris esthétique et effet de perspective ? Cette vision "romantique" du château et ses disproportions ne permettent pas d’estimer la volumétrie exacte du bâtiment.

Etape 5

Modélisation - étape 5
Modélisation - étape 5

Sur le dessin du château réalisé à la mine de plomb par Jean-Marie Amelin en 1830, le merlon est représenté à la même hauteur que ceux du bâtiment contigu. Le croquis confirme les observations faites sur la lithographie de Laurens mais permet d’affirmer que les crénelages des bâtiments 1 et 3 sont alignés.

Etape 6

Modélisation - étape 6
Modélisation - étape 6

Un autre dessin de Jean-Marie Amelin permet d’estimer, par comparaison, que la façade du bâtiment 1 avait la forme d’un rectangle d’environ 15 m de haut sur 17,60 m de long.

Etape 7

Modélisation - étape 7
Modélisation - étape 7

Ces sources demeurent trop lacunaires pour déterminer l’agencement des espaces intérieurs du bâtiment et les ouvertures vers l’extérieur. Pour cela, il faudra interroger les archives écrites du XVIIe siècle : les devis de 1604 et 1605 et l’inventaire de 1677.

Source : Robardet-Caffin, T. (2021). Le château de Montferrand, la modélisation d'une forteresse ruinée à partir des sources écrites et de l'étude du bâti. Doctorales 58 (actes n°6).
A lire en ligne : https://doi.org/10.34745/numerev_1722

 
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