Lorsqu’aucun plan ni aucune image avant la ruine n’existe,
la modélisation d’un château se fait à partir d’un ensemble de sources parfois très diverses. Les mêmes sources sont exploitées de manière différente selon l’objectif poursuivi : restituer l’édifice avant sa démolition ou proposer un modèle évolutif du bâti.
C’est cette démarche qu’a adoptée l’architecte Thomas Robardet-Caffin pour reconstituer l’évolution architecturale du château de Montferrand au fil des siècles. En l’absence de données sur la nature et la forme de plusieurs éléments du bâti, il a dû confronter les sources, parfois contradictoires, opérer des recoupements, combler les « vides » pour proposer une reconstitution cohérente et vraisemblable des espaces altérés ou totalement disparus, invisibles sur le terrain.
Le fonds documentaire
Le château de Montferrand dispose aussi d’un ensemble documentaire rare mais précieux. Les sources iconographiques et les écrits qui nous sont parvenus nous renseignent, à leur manière, sur l’état ou l’usage de l’édifice à un moment précis de son histoire.
Le Moyen Age a laissé plusieurs traces écrites concernant le château, notamment au travers de lettres pontificales ou d’actes notariés. Mais ces documents mentionnent la forteresse pour son usage ou comme symbole du pouvoir comtal. Les informations relatives à son organisation architecturale ou son aménagement intérieur y sont quasi inexistantes.
On peut compter aussi sur le cartulaire de Maguelone : ce recueil de chartes relatives à l’évêché regroupe près de 2 400 actes dont les plus anciens datent du XIIe siècle. Plusieurs actes renseignent indirectement sur l’utilisation de certains espaces du château au Moyen Âge.
Ecrits du XVIIe siècle
Au XVIIe siècle, trois documents importants sont une source d’information précieuse, non seulement pour l’architecture globale du château mais aussi sur l’agencement des espaces intérieurs.
En 1604 et 1605, deux prix-faits (devis) sont réalisés dans le cadre du projet de modernisation du château. Ils nous renseignent sur l’état du château à cette époque et sur les travaux envisagés par l’évêque pour transformer le site en lieu de garnison.
Mais c’est surtout l’expertise datant de 1677 qui nous donne une connaissance très précise de l’aménagement intérieur du château dans son état final, peu avant son démantèlement. Réalisé par deux architectes à la demande de l’évêque qui envisage de remettre le château en état, cet inventaire détaille la forteresse pièce par pièce, au gré de la déambulation des visiteurs. Chaque pièce est inventoriée avec la plus grande précision : fonction, dimensions, nombre et orientation des ouvertures, éléments de décor éventuels, revêtements de sols, organisation structurelle des plafonds…
Sources iconographiques
Enfin, plusieurs représentations et photographies anciennes du château enrichissent la compréhension des vestiges.
L’½uvre du dessinateur Jean-Marie Amelin (1785-1858) est un apport majeur dans la connaissance du château au XIXe siècle. Ce professeur de dessin à l'école royale du Génie miliaire de Montpellier a immortalisé avec un ½il aiguisé le patrimoine architectural et paysager de son époque dans des dessins, des lavis ou des peintures. Outre leur qualité artistique, ses productions constituent un témoignage historique du patrimoine local.
Les dessins et aquarelles de Jean-Joseph Bonaventure Laurens (1801-1890) réalisées dans tout le sud de la France nous renseignent sur les paysages de la région à cette époque. Une de ses lithographies est dédiée au château de Montferrand.
Mais ces travaux sont parfois à manier avec vigilance, le dessinateur ayant pu oublier ou choisir d’occulter certains éléments. Des disproportions dues à la perspective peuvent aussi fausser l’évaluation des dimensions. De plus, l’influence du mouvement romantique peut éloigner l’auteur du souci de réalisme, comme c’est le cas pour Laurens.
Plus "fidèle" à la réalité, la photographie, dès 1890, est une source d’information précieuse.
Le recoupement des sources
Si les vestiges constituent l’apport principal d’information, les gravures, peintures, croquis et photographies sont autant de représentations du bâtiment à des degrés divers d’effondrement. Toutefois, la fiabilité de ces sources dépend en grande partie des motivations, de la technique et de la sensibilité de leur auteur.
Seule la confrontation de l’ensemble de ces données, parfois contradictoires, permet non seulement d’identifier les espaces mais aussi d’en dater les périodes de construction ou de disparition.
Le recoupement des sources, aussi ténues soient-elles, permet de se rapprocher de la réalité bâtie disparue. Les informations sont décortiquées, analysées et croisées pour donner corps à cette réalité disparue. Un volume de déblais au sol peut confirmer la dimension d’un pan de mur représenté sur une esquisse du XIXe siècle mais aujourd’hui effondré…
L’exemple ci-dessous montre la démarche de reconstitution réalisée par Thomas Robardet-Caffin de la façade sud du Vieux Montferrand, aujourd’hui en grande partie arasé à partir du deuxième niveau.
Ici, l’analyse du bâti existant, minoritaire, a été complétée par un recoupement des autres sources à disposition : mais ces sources présentent des avantages et des limites. Des éléments manquants font naître des interprétations indirectes, des hypothèses. Le travail de reconstitution n’est jamais qu’une « évocation » volumétrique qui, dans le détail, demeure bien souvent approximative.
La reconstitution n’est pas exhaustive, sa fiabilité peut varier d’une partie à l’autre du monument en fonction des données disponibles.
Dans le détail
C’est le recoupement des différentes sources iconographiques qui a permis à l’architecte du patrimoine Thomas Robardet-Caffin de reconstituer la hauteur de la façade du bâtiment d’entrée au Vieux Montferrand.
Etape 1
L'entrée dans le « vieux Montferrand » se fait à la base du bâtiment 1 et débouche dans une haute-cour. Ce bâtiment est arasé à partir de son deuxième niveau. Les bâtiments mitoyens conservent leur façade sud à la hauteur d’origine.
Etape 2
Depuis la cour intérieure du château, on remarque au sommet du bâtiment 2 trois baies et une rangée de dalles qui permettent d’identifier avec certitude le sol du troisième niveau. Le bâtiment 3 conserve la trace de deux niveaux ainsi qu’une fenêtre et un merlon sommital.
D’après ces vestiges et les traces de liaisons entre les bâtiments, on peut estimer que le bâtiment avait une hauteur au moins égale aux deux tiers de celle du bâtiment 2. Mais on ne peut pas en déduire la hauteur réelle.
Etape 3
La photographie réalisée vers 1900 montre quelques pierres de la face ouest du bâtiment 1 encore accrochées au bâtiment 2. Ce dernier, alors en meilleur état, était accolé sur toute sa hauteur au bâtiment 1.
La hauteur du bâtiment 1 était donc au moins égale à celle des façades 2 et 3. Mais l’angle de vue ne permet pas d’identifier une éventuelle trace de toiture.
Etape 4
L’angle sud-ouest du bâtiment 1 est encore entièrement en place sur une lithographie de Jean-Joseph Bonaventure Laurens réalisée en 1840. Pourtant, le merlon au sommet semble excessivement haut par rapport aux façades mitoyennes. Parti-pris esthétique et effet de perspective ? Cette vision "romantique" du château et ses disproportions ne permettent pas d’estimer la volumétrie exacte du bâtiment.
Etape 5
Sur le dessin du château réalisé à la mine de plomb par Jean-Marie Amelin en 1830, le merlon est représenté à la même hauteur que ceux du bâtiment contigu. Le croquis confirme les observations faites sur la lithographie mais permettent d’affirmer que les crénelages des bâtiments 1 et 3 sont alignés.
Etape 6
Un autre dessin de Jean-Marie Amelin permet d’estimer, par comparaison, que la façade du bâtiment 1 avait la forme d’un rectangle d’environ 15 m de haut sur 17,60 m de long.
Etape 7
Ces sources demeurent trop lacunaires pour déterminer l’agencement des espaces intérieurs du bâtiment et les ouvertures vers l’extérieur. Pour cela, il faudra interroger les archives écrites du XVIIe siècle : les devis de 1604 et 1605 et l’inventaire de 1677…
Source : Robardet-Caffin, T. (2021). Le château de Montferrand, la modélisation d'une forteresse ruinée à partir des sources écrites et de l'étude du bâti. Doctorales 58 (actes n°6).
A lire en ligne : https://doi.org/10.34745/numerev_1722