Le château-fort (XIIIe s.)

Devenu comte de Melgueil en 1172 à la suite de son mariage avec Ermessende,

le futur Raimond VI, qui n'est encore que l'héritier du comté de Toulouse, engage de grands travaux de modernisation et de fortification du château de Montferrand. Cet épisode marque une profonde transformation du site et de son usage.

Le gigantesque chantier s'attache à requalifier les espaces consacrés à l’exercice du pouvoir et à moderniser les défenses du château. A la surélévation et à l’agrandissement des constructions existantes s'ajoutent deux nouveaux éléments : la barbacane à l’entrée du Vieux Montferrand et la grande enceinte.

De résidence seigneuriale et castrum collectif, le château prend une dimension militaire et politique à l'échelle du comté de Toulouse.

 
Montferrand au XIIIe s. : un château à l'échelle du comté de Toulouse. Modélisation : Thomas Robardet-Caffin
Montferrand au XIIIe s. : un château à l'échelle du comté de Toulouse. Modélisation : Thomas Robardet-Caffin

Un contexte politique instable

Plusieurs raisons expliquent l’ampleur des travaux engagés dès la fin du XIIe siècle, une période troublée qui voit le château changer de propriétaires. De manière générale, à la fin du XIIe siècle et au XIIIe siècle, l’aristocratie locale, individualiste et indisciplinée face à l’autorité royale, cherche à maintenir son prestige par des constructions en pierre sophistiquées et ostentatoires.

Le prestige de la pierre…

Raimond VI de Toulouse n’échappe pas à la règle, d’autant qu’il doit s’affirmer face à de puissants rivaux. A partir de 1204, il doit composer avec Pierre II d’Aragon, devenu seigneur de Montpellier par mariage. De plus, il est rapidement soupçonné d’indulgence envers l’hérésie cathare, ce qui lui vaut l’hostilité du pape. C'est ce qui justifie les travaux titanesques engagés pour fortifier Montferrand.

Lorsqu’en 1209, le comte de Toulouse doit céder au pape le château en gage de soumission, les travaux ne sont pas terminés. Ils sont poursuivis par Bertrand de Vailhauquès, châtelain de Montferrand, représentant du comte, puis, dès 1215, par les évêques de Maguelone à qui le château est finalement inféodé.

La nouvelle suzeraineté de l’évêque n’est pas acceptée facilement par les seigneurs locaux qui ne s’empressent pas de lui prêter hommage. En 1222, Raimond VII, fils et successeur de Raimond VI, s’empare du comté avec la complicité des habitants. En 1236, plusieurs seigneurs locaux se révoltent contre l’autorité de l’évêque : certains sont restés fidèles à la maison de Toulouse, d’autres voient d’un mauvais ½il la curieuse concentration des pouvoirs spirituel et temporel aux mains du représentant de l’Eglise.  

… qui s’adapte au manque d’argent

Ce contexte pourrait expliquer la volonté de l’évêque d’inscrire lui aussi son nouveau pouvoir dans la pierre tout terminant les travaux entrepris par son prédécesseur. Mais le manque d’argent ne permet pas de maintenir la qualité de construction initiée par le puissant comte de Toulouse.

Les techniques s’adaptent : les structures d’origine en pierre de taille, extraite dans la vallée, se combinent désormais avec un bâti plus rudimentaire en moellons grossiers extraits sur place. A l’image de la grande enceinte, les fortifications sont ambivalentes : les grandes archères régulières et les hourds illustrent les nouveaux principes de fortification apportés par les princes du nord mais l'ensemble pèche par l'absence de flanquements et par le manque de hauteur et d'épaisseur des murs.

Surélévation et agrandissement des constructions existantes

Agrandissement du Petit Montferrand

Le Petit Montferrand est complétement rehaussé au moment de la construction de la grande enceinte. Ces travaux ont pour objectif une amélioration du logis primitif et une consolidation défensive du front ouest, notamment par l’ajout d’une tour ronde aujourd’hui disparue.

Création d’un triptyque aula / camera / capella

Le Vieux Montferrand est profondément transformé : il n’est plus simplement un réduit fortifié perché sur le point le plus inaccessible, il devient le lieu de représentation et d’exercice de l’autorité comtale, visible à des kilomètres à la ronde.

Dans l’un des bâtiments (zone 2) est construite une salle voûtée de 7 m de long par 3,8 m de large : la camera, ou chambre du comte. Cette salle communique directement avec la capella (chapelle) avec laquelle elle forme un duo éminemment symbolique.

La zone 1 accueille l’aula, lieu d’exercice du pouvoir comtal : il s'agit de la salle la plus vaste du château, et la seule dotée d'une cheminée au Moyen Age. Elle a certainement remplacé la salle originelle située en contrebas du Petit Montferrand, excentrée et moins ostentatoire.

Autre symbole, ce triptyque est construit à proximité immédiate des trois petites caves semi-enterrées, sans fenêtre, qui font office de cellules pour les prisonniers : elles ont pour nom la Diablesse, la Comtesse et la Marquise…

 
Localisation des principales transformations du XIIIe s.. Croquis : Thomas Robardet-Caffin
Localisation des principales transformations du XIIIe s.. Croquis : Thomas Robardet-Caffin

Construction du bâtiment à l’entrée du Vieux Montferrand

L’une des constructions les plus emblématiques de cette période est le vaste bâtiment construit à l’entrée du Vieux Montferrand (zone 1).

Le premier niveau abrite l’unique point d’entrée du Vieux Montferrand. Le passage voûté en berceau surbaissé est protégé par deux portes, dont une doublée de fer, et d’une herse et donne accès à la haute-cour du château. Ce passage distribue de part et d’autre deux caves très bien conservées. Ces caves de 14 et 28 m2 sont voûtées en berceau : leur sol est constitué par la roche mère. La plus grande communique avec le niveau supérieur par un orifice circulaire de 70 cm de diamètre percé au sommet de la voûte. Privées de fenêtre, ces caves semblent uniquement dédiées au stockage.

L’espace situé au-dessus des deux caves abrite la grande salle du Moyen Age dotée d’une cheminée. Elle abrite une mesure matrice en pierre : les denrées livrées par le passage d’entrée sont comptabilisées à l’aide de cette matrice puis déposées au niveau inférieur par la trappe ménagée dans la voûte. Cette salle sera transformée au XVIIe s. en cuisine et réfectoire pour la garnison.

 
Le Vieux Montferrand au XIIIe s. : organisation des espaces intérieurs. Modélisation : Thomas Robardet-Caffin, 2021
Le Vieux Montferrand au XIIIe s. : organisation des espaces intérieurs. Modélisation : Thomas Robardet-Caffin, 2021

Edification de la barbacane

Défendant l’unique accès au Vieux Montferrand, une barbacane avec pont-levis est édifiée à l'avant du bâtiment n°1. Une fois le pont franchi, une porte donne accès au couloir voûté passant sous le bâtiment principal pour déboucher dans la haute-cour.

Dans la barbacane, le passage étroit n’est pas couvert. Ainsi, l’accès est surveillé depuis le chemin de ronde surplombant l’édifice : en cas d’attaque, les assaillants seraient pris sous des tirs plongeants.

Ce renforcement particulier du point d’entrée du château s’explique par le contexte politique instable de l’époque. La barbacane est véritablement le premier ouvrage exclusivement dédié à la défense du château.

Construction de la grande enceinte

Jusqu’au XIIe siècle, les parties basses du castrum sont occupées par un bâti médiéval informel aggloméré autour du réduit seigneurial. Construite en calcaire dur, la grande enceinte est ajoutée pour englober le bâti préexistant, aujourd’hui en grande partie disparu, dans un espace clôt. 

D’une longueur totale de 180 m, l’enceinte se divise en six tronçons rectilignes percés d’une quinzaine d’archères pour la plupart en grès taillé.

Cependant, bien que massive et surmontée de hourds, cette enceinte dépourvue de tours ne garantit pas une protection optimale. Ce détail permet de dater sa construction du tout début du XIIIe s. : en effet, l’enceinte ponctuée de tours circulaires "ouvertes à la gorge"* n’apparaît dans les châteaux perchés du Languedoc tels Peyrepertuse, Puylaurens ou Aguilar qu’au milieu du siècle.

* Ce type de tour est un ouvrage en forme de fer à cheval ouvert sur l’intérieur du château. En cas de prise par les envahisseurs, ceux-ci, à découvert, ne peuvent pas utiliser la tour pour attaquer.

 
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